10/12/2010

Pour commencer, une belle histoire!

Quatre ans après la publication de mon livre, il me semble utile de faire le point régulièrement sur ce que deviennent "mes héroïnes". D'où ce blog. Je vais commencer aujourd'hui par le statut formidable qu'est en train d'acquérir Mel Bonis. Il s'agit là de son pseudonyme, choisi dès ses études de composition au Conservatoire pour faire face à la discrimination envers les créatrices. Elle est en fait née Mélanie Bonis (à Paris en 1858). Pour ceux et celles qui ne savent encore rien d'elle, voyez le site de l'association.
Je dis "encore" car sa notoriété posthume se développe à toute vitesse. Je me demande d'ailleurs s'il y a jamais eu dans l'histoire de la musique occidentale un phénomène semblable. Mais reprenons les choses au début.

De son vivant, Mel Bonis n'était connue que d'un cercle restreint de musiciens et mélomanes parisiens et de quelques musiciens provinciaux. Elle a quand même été publiée par Leduc, Demets et Sénart, de grands éditeurs de l'époque, mais comme elle n'était pas confiante dans ses capacités de pianistes, elle présentait rarement elle-même ses œuvres en concert, limitant ainsi leur diffusion. Elle a néanmoins pu se faire connaître à la Société Nationale de Musique, "temple" de la création contemporaine à partir de 1871: avec sa Sonate en do dièse mineur pour flûte et piano en 1905, sa Sarabande pour orchestre en 1906, et sa Suite pour flûte, cor et piano en 1907. Sa Sonate en fa dièse mineur pour violon et piano a été donnée à la société "concurrente", la Société de Musique Indépendante, en 1919. On sait que Gabriel Fauré appréciait beaucoup la musique de Mel Bonis, et ce fait n'est sans doute pas étranger à l'élection de la compositrice au poste de secrétaire de la Société des Compositeurs de Musique en 1910: il faisait partie alors des présidents d'honneur de la société, aux côtés de Jules Massenet et Camille Saint-Saëns.

On possède quelques critiques positives d'œuvres de Mel Bonis, mais, après sa disparition en 1937, sa musique est quasiment tombée dans l'oubli, si l'on excepte quelques pièces pédagogiques de piano. Ses descendants ne l'oublient pas, cependant, et en 1944, un concert de ses œuvres a lieu, puis un autre en 1984. Le pianiste Cyprien Katsaris s'intéresse à sa musique de chambre et jouera le Premier Quatuor lors de tournées de 1993 à 1995. Un premier CD pionnier paraît en 1993, par A. Constantin et A. Rodestvenski: il présente sa Sonate en fa dièse mineur pour violon et piano aux côtés des sonates de Franck et Debussy.

Et puis, à la fin des années 90, tout change, et vite. En Allemagne, un groupe de musiciens amateurs de musique de chambre de très haut niveau, autour d'un médecin violoncelliste, Eberhard Mayer, met à son répertoire des pièces de Mel Bonis, puisant notamment dans les partitions qui se trouvent à la Bibliothèque Nationale à Paris; le groupe prendra même le nom de "Mel-Bonis Ensemble Köln", enregistrant deux des sonates et le Premier Quatuor en 1997.
Ils se mettent à la recherche de la famille de la compositrice, qui, grâce à la curiosité de petites-filles et d'arrière-petites-filles, commence à prendre la mesure du talent de son aïeule. La famille a déjà fourni une photo destinée à illustrer l'article que le New Grove Dictionary of Women Composers, paru en 1994, a consacré à Mel Bonis.
Au même moment, le pianiste Laurent Martin, grand découvreur de compositeurs oubliés, lit des partitions de Mel Bonis que lui a fait passer un autre descendant, résidant comme lui en Auvergne: c'est le coup de foudre, et Laurent Martin initie aussitôt des enregistrements des trois sonates et des deux quatuors avec piano, qui paraissent en 1998 et 2000 chez Voice of Lyrics.
Pendant ce temps, une des arrière-petites-filles, pianiste, Christine Géliot, écrit une première biographie de Mel Bonis, qu'elle fait paraître à frais d'auteur en 1998, puis chez L'Harmattan en 2000.

Toutes ces personnes se rencontrent, sympathisent et unissent alors leurs forces pour faire connaître la musique de Mel Bonis. Une association est créée en 2000.

Je suis moi-même en contact avec Eberhard Mayer et Christine Géliot dès 1998. En 2001, je publie un article sur Mel Bonis dans un recueil d'essais sur plusieurs compositrices, chez l'éditeur allemand Furore, spécialisé dans la musique des femmes. Et l'éditeur du grand dictionnaire allemand Musik in Geschichte und Gegenwart me demande la même année un court article, qui paraîtra sous le nom d'épouse de Mel Bonis, Domange, car le volume des noms commençant par B était déjà terminé.

Les éditions et rééditions se succèdent, en France et en Allemagne, à un rythme soutenu, notamment grâce à l'énergie de Christine Géliot et au travail de gravure d'Eberhard Mayer. A son décès en 2005, sa veuve Ingrid contribuera financièrement aux éditions déjà entreprises par son époux.

Actuellement, Mel Bonis est de plus en plus interprétée en concert, dans le monde entier. Les enregistrements se multiplient et l'on en est à plus de 25 CD, dont une quinzaine exclusivement consacrés à sa musique. On peut prendre la mesure de ce succès posthume par le site de l'association.


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