Voici le texte de la conférence que j'ai donnée en accompagnement d'un concert du chœur Bagat'elles le 21 décembre 2025 au Théâtre Le Colombier aux Cabannes près de Cordes-sur-Ciel
1.
Bonjour. Un concert constitué exclusivement d’œuvres de compositrices ? Peut-être une surprise pour certaines ou certains d’entre vous ?
Les livres, l’enseignement de la musique au collège et dans les écoles de musique et les conservatoires, les programmes des concerts, les catalogues des disques, nous ont habitué à une histoire de la musique composée au masculin.
Depuis une dizaine d’années, pour des raisons sur lesquelles je reviendrai plus loin, on entend plus parler de compositrices, du passé ou contemporaines. Mais encore maintenant, si l’on demande à des mélomanes de citer des noms, il est rare que la liste dépasse le nombre des doigts d’une main.
Pourtant, vous venez d’entendre trois œuvres composées par des musiciennes du XIXe siècle. Pauline Viardot, née en 1821, Cécile Chaminade, née en 1857, et Mélanie Bonis, née en 1858. Des musiciennes ont donc pu, autrefois, faire carrière comme compositrices. Comment est-ce donc arrivé ?
Même si on trouve depuis l’Antiquité des musiciennes professionnelles, dès les débuts de l’histoire de la musique occidentale, les femmes n’ont pas pu faire carrière comme ont pu le faire les hommes. Les obstacles ont été de l’ordre de la moralité. Il semblait obscène qu’une femme joue de la flûte, l’aulos, dans la Grèce antique : un instrument que l’on touche avec la bouche, cela semblait choquant ; et puis l’usage de cet instrument déformait le visage, alors qu’une femme doit être belle.
Ces résistances anciennes aux femmes jouant des instruments à vent ont perduré. Encore de nos jours, dans les orchestres symphoniques, on trouve peu de femmes au trombone, à la trompette, au tuba, au cor, même si l’on en voit un peu plus à la flûte, au haubois et au basson. Et si on voit maintenant beaucoup de musiciennes chez les instrumentistes à cordes, là aussi les résistances ont été nombreuses. En 1848, un pédagogue, Bernard Jullien, écrit : « C’est un grave inconvénient pour les femmes que le violon repose et vibre sur la poitrine ». Auparavant, en 1784, le compositeur allemand Carl Ludwig Junker, s’exprimait sur le violoncelle : « Une femme joue du violoncelle. Elle ne peut éviter deux fléaux. Le ploiement du haut du corps quand elle joue dans l’aigu (près du chevalet), ainsi que la pression de la poitrine [sur l’instrument] ; et puis une position des pieds telle qu’elle éveille mille images qu’on ne devrait pas éveiller ».
Avec la voix, les femmes ont débuté l’histoire de la musique avec un avantage biologique ; très tôt, les voix des femmes ont été perçues comme possédant des qualités, comme la beauté des sons aigus, que les voix des hommes ne possédaient pas.
Oui, mais ces voix enchanteresses semblaient aussi très dangereuses. Les religions ont en général tenté de faire taire les voix des femmes dans les lieux de culte. En 1915, encore, le compositeur et chef Vincent d’Indy est confronté aux interdits pouvant frapper les chanteuses : « Le clergé de la Madeleine a vraiment des exigences que nous n’avons jamais rencontrées lorsque nous avons pris part à des cérémonies (et cela nous est arrivé souvent) dans d’autres paroisses. Voilà maintenant qu’ils ne se contentent pas des paravents, ils réclament des fleurs et des feuillages ! [...] sans cela, le clergé intraitable de la Madeleine renverra nos femmes et nous ne pourrons plus chanter ».
Si les chanteuses d’opéra ont pu participer pleinement à ce genre musical né au début du XVIIe siècle, c’est au prix de critiques sur leur moralité ; elles ont été assimilées, comme les comédiennes, à des prostituées.
Enfin, qu’en est-il des musiciennes qui sentaient en elles les capacités de créer de la musique ?
Elles se sont heurtées aux croyances sur l’incapacité des cerveaux des femmes à concevoir la musique à un haut niveau de complexité. Un exemple typique de ces croyances nous est donné par une critique publiée en 1874 dans La Chronique musicale, à l’occasion d’un concert du Stabat Mater de Clémence de Grandval, une compositrice née en 1828, et qui a connu le succès, comme Pauline Viardot, Mélanie Bonis et Cécile Chaminade. Le critique écrit : « En écoutant le Stabat de madame de Grandval, je faisais cette observation très curieuse, étant appliquée à la musique composée par une femme, que la partie la mieux réussie est la partie symphonique, qui est la plus abstraite ».
Les carrières des hommes compositeurs ont toujours été difficiles, mais il est au moins une difficulté qu’ils n’ont jamais rencontrée, le fait que leur origine biologique leur ferme la porte de la haute composition.
Les musiciennes qui ont pu se faire apprécier comme compositrices ont par contre toujours été renvoyées à leur sexe, même en cas de succès. Un critique écrit en 1845 au sujet de Louise Farrenc, à l’occasion de la création parisienne de sa Première symphonie :
« Madame Farrenc vient de se signaler en musique par des exploits inouïs ; jamais, à ma connaissance du moins, jamais une femme n’avait donné l’exemple d’un tel savoir en musique ; jamais une femme n’avait montré cette connaissance des artifices de l’orchestre, cette énergie de conception et d’effet. C’est parmi les hommes que Mme Farrenc doit chercher ses rivales ».
Point positif, l’exemple de Louise Farrenc a sûrement joué pour que le Conservatoire de Paris commence à partir de 1850 à accepter des femmes dans les classes de composition.
Malgré le scepticisme, quelques compositrices ont pu s’établir, connaissant le succès public et l’estime de leurs collègues. Elles sont peu nombreuses, mais beaucoup plus que la quasi absence de compositrices des livres d’histoire de la musique le laisse penser. Après la pièce de Charlotte Sohy, Conseils à la mariée, j’évoquerai cette question, comment pouvait-on autrefois devenir compositrice ?
2.
Les paroles des Conseils à la mariée de Charlotte Sohy, qu’elle a écrites elle-même, résument ce qui était attendu des femmes autrefois : se consacrer entièrement au bonheur de leur époux, se concentrer sur le foyer et la famille. Il existe une quantité de livres de conseils destinés aux maîtresses de maison, développant ces idées, depuis le début du XIXe siècle et jusque dans les années 1960.
Au XIXe siècle, comme dans les siècles précédents, la majorité des femmes n’avait pas accès à un enseignement professionnel qualifié et la majorité des femmes était au travail dans des métiers pénibles, aux champs, à l’usine ou chez elles, pouvant à peine suffire à leurs besoins si elles n’étaient pas mariées, et disposant de très peu de temps pour des loisirs.
La situation de la bourgeoise chez elle, qui ne s’occupe que de son mari, de ses enfants et de sa maison, était donc très enviée. S’il n’était pas prévu que la bourgeoise exerce une activité professionnelle, la pratique de la musique, dans le cadre des arts d’agrément, était au contraire encouragée. Et cette pratique pouvait déboucher sur un statut d’amatrice de niveau professionnel.
Ce qui a été le cas de Charlotte Sohy. Née en 1887 dans une riche famille d’industriels, elle a rencontré un musicien pendant ses études de composition à la Schola Cantorum, et elle a fondé avec lui un des rares couples de compositrice/compositeur de l’histoire de la musique. Ils s’estimaient mutuellement et pouvaient se consacrer à leur art, malgré la naissance de sept enfants, puisque ces enfants étaient pris en charge par des gouvernantes.
Pauline Viardot, elle, représente un autre accès pour une femme au métier de compositrice : elle est née dans une famille de musiciens, mère cantatrice, père chanteur et compositeur. Quand elle montre de grands dons pour la musique, elle peut à l’âge de seize ans prendre des cours avec Anton Reicha, professeur de composition du Conservatoire ; des cours en privé puisque les femmes n’avaient pas encore le droit d’étudier la composition au Conservatoire.
Pauline Viardot était là dans la situation des musiciennes des siècles précédents, où seuls les hommes pouvaient apprendre la composition, dans les maîtrises des églises. Les compositrices étaient alors, comme Pauline Viardot, nées dans des familles de musiciens qui les formaient : par exemple Francesca Caccini en Italie, la première compositrice d’opéras, ou Elisabeth Jacquet de La Guerre, en France, la prodige du clavecin encouragée par Louis XIV.
Mélanie Bonis, elle, témoigne de l’évolution qu’a apportée l’admission des femmes aux classes de composition du Conservatoire à partir de 1850. En effet, parallèlement aux idées de ceux qui voulaient réserver aux hommes les activités dans la sphère publique et cantonner les femmes au foyer, d’autres personnes souhaitaient l’émancipation des femmes par l’instruction. C’est ce qui a amené sous la IIIe République la création des lycées de jeunes filles, en 1880, et l’ouverture progressive aux femmes des portes des universités.
Mélanie Bonis est née dans une famille parisienne modeste, mais quand elle montre ses dons pour la musique, elle peut entrer au Conservatoire, qui était gratuit, et étudier la composition et l’orgue, impressionnant ses professeurs par la profondeur de son talent créatif. C’est à ce moment-là qu’elle choisit son pseudonyme asexué de Mel Bonis, qui cachait le fait qu’elle était une femme ; elle était donc consciente de la discrimination. Elle met un temps de côté la composition après son mariage avec un riche industriel, mais elle y revient intensivement à partir de 1900 et se retrouvera même en 1910 parmi les secrétaires de la Société des compositeurs de musique, première femme à occuper ce poste ; un signe évident de l’estime dans laquelle ses collègues les plus prestigieux la tenaient.
Enfin, Cécile Chaminade, qui aurait pu étudier la composition au Conservatoire, dut faire face à l’interdiction de son père qui considérait qu’une jeune fille de son milieu, la haute bourgeoisie, ne pouvait pas faire des études dans un établissement d’enseignement public. Elle a cependant reçu le même enseignement de la composition qu’au Conservatoire, en cours privés. Les résistances de son père à une carrière de musicienne professionnelle ont cédé quand elle est devenue une excellente pianiste, recherchée par des musiciens professionnels pour la musique de chambre, et quand elle a commencé à montrer avec succès ses œuvres dans des concerts.
Le fait que Cécile Chaminade ait été une excellente pianiste m’amène à souligner l’importance du piano dans la vie des musiciennes. Charlotte Sohy, Pauline Viardot et Mel Bonis étaient aussi d’excellentes pianistes. Contrairement aux autres instruments, le piano a été considéré dès sa création, dans la seconde partie du XVIIIe siècle, comme un instrument qui convenait aux femmes : on le joue assise, on ne le touche que du bout des doigts et du bout des pieds et on ne regarde pas le public. Sa pratique a donc été totalement encouragée. Toutes les femmes des milieux bourgeois en expansion jouaient du piano ; il y avait même un piano dans l’appartement modeste des parents de Mel Mel Bonis.
C’est par cet instrument que le siècle a vu l’augmentation du nombre de musiciennes professionnelles, et parmi elles, beaucoup plus de compositrices qu’auparavant.
3.
La présence dans ce concert de deux compositrices nord-américaines vivantes, Elaine Hagenberg, née en 1979, et Sarah Quartel, née en 1982, qui poursuivent une belle carrière dans le domaine de la musique chorale, m’amène à aborder maintenant ce qui s’est passé pour les compositrices à partir du début du XXe siècle. Qu’est-il arrivé aux successeures de Pauline Viardot, Mel Bonis, Cécile Chaminade et Charlotte Sohy ?
Le début du XXe siècle, en France notamment, était très prometteur pour les compositrices. À partir de 1903, les femmes artistes peuvent enfin concourir pour le prix de Rome, un concours créé cent ans plus tôt pour les hommes seulement. Remporter ce prix représentait un début assuré dans une carrière artistique. En 1913, Lili Boulanger est la première compositrice à remporter le Premier grand Prix ; son succès sera relayé par la presse au niveau international. En même temps, de plus en plus de jeunes filles étudient la composition au Conservatoire de Paris.
Autre exemple, la Société nationale de musique, cette importante vitrine des musiques nouvelles créée en 1871, et qui n’admettait « en aucun cas » les femmes dans son comité, y inclut des musiciennes à partir des années 1920.
Pourtant, alors même que de plus en plus de femmes font des études approfondies de composition, les carrières des compositrices sont restées très difficiles au XXe siècle. On remarque que ce n’est qu’en 2005 qu’une compositrice a été élue à l’Académie des Beaux-Arts, Édith Canat de Chizy. Vingt ans plus tard, elle est toujours la seule femme de la section composition musicale.
Les difficultés rencontrées par les compositices au XXe siècle ont plusieurs raisons. La carrière de compositeur devient d’une manière générale plus difficile qu’auparavant car le développement des enregistrements favorise un désir plus développé des mélomanes d’écouter et de réécouter les musiques du passé. Aussi, alors qu’elles n’étaient autrefois que des exceptions, les compositrices sont maintenant des concurrentes, nouvelles et plus nombreuses, dont les compositeurs aimeraient bien se passer, dans ces temps difficiles ; ce qui les amènent à resserrer les rangs. Parallèlement se développe la musicologie, une science historique nouvelle qui veut s’affirmer en choisissant des objets d’étude incontestables : notamment les grands maîtres de la musique du passé. Les musiciennes, qui avaient été présentes, malgré leur nombre réduit, dans les dictionnaires des XVIIIe et XIXe siècles, sont maintenant quasiment absentes du récit historique. Déjà confrontées aux préjugés durables sur les capacités des femmes à composer, les compositrices ne trouvent pas dans les livres d’histoire de la musique et les programmes des concerts des modèles venus du passé pour les encourager dans leur vocation.
Au début du XXIe siècle, le Centre de la Musique Contemporaine a décompté, sur le nombre total de compositrices et de compositeurs vivants actifs en France, 10 % de femmes et 90 % d’hommes.
La compositrice britannique Sally Beamish, née en 1956, s’est exprimée en 2023 sur ce manque de modèles dont souffrent les compositrices et qui accentue leur sentiment qu’elles sont illégitimes :
« J’ai commencé à composer quand j’étais toute petite, car ma mère m’a appris à lire et à écrire la musique quand j’avais quatre ans. Elle était violoniste professionnelle, et elle me jouait les dessins que je crayonnais sur des portées de musique – fleurs, visages, animaux.
J’ai toujours su que j’étais compositrice, mais je ne pensais pas que c’était quelque chose que je pouvais faire pour gagner ma vie. Je ne connaissais aucune autre compositrice qui le faisait. J’ai donc étudié l’alto à la place.
La seule compositrice dont j’avais entendu parler était Clara Schumann, mais je n’avais aucun moyen d’entendre sa musique, car elle n’était jamais donnée à la radio, et je ne connaissais pas d’enregistrements disponibles. Je savais juste qu’elle avait existé, et elle est devenu mon modèle. En fait, elle n’était pas un très bon modèle, puisqu’elle ne pensait pas elle-même qu’une femme pouvait vraiment être un bon compositeur !
Beaucoup plus d’œuvres de compositrices sont jouées et reconnues maintenant. C’est une bonne époque pour être compositrice. Il y a beaucoup d’opportunités et il n’y a plus la même méfiance envers les compositrices. Mais je pense que les gens continuent au fond d’eux-mêmes à associer « homme » à « compositeur » – parce que les grandes œuvres que nous connaissons du passé sont majoritairement dues à des hommes. Cependant, cela change, au fur et à mesure que nous découvrons plus de grandes œuvres composées par des femmes des époques passées ».
4.
Il est fréquent, à la fin de ce type de concert consacré à des compositrices, que soit posée la question de la différence entre la musique des femmes et celle des hommes.
En fait, au-delà même de cette curiosité, le langage genré s’est établi très tôt dans la théorie musicale. Que ce soit pour des éléments de la grammaire musicale, ou pour les types d’instruments. Par exemple, au IIIe siècle, Quintilien, dans son ouvrage De la musique, considère que le rythme, qui est masculin, façonne la mélodie, qui est féminine. Ce qui frappe dans ces grammaires de la musique, c’est la hiérarchisation toujours favorable à l’élément masculin, supérieur à l’élément féminin. Par exemple, la grande tierce, ou tierce majeure, est considérée comme masculine, la petite tierce, ou tierce mineure, est considérée comme féminine. Et dans l’analyse des œuvres, il est d’usage, depuis le XIXe siècle, de définir des thèmes masculins ou féminins, le thème masculin l’emportant sur le thème féminin à la fin du premier mouvement des sonates.
Mais l’écoute de la musique à la recherche de qui a pu la composer, homme ou femme, tord le cou à ces catégorisations. Les tests « à l’aveugle » qui sont proposés, à savoir faire écouter un morceau de musique à un public et lui demander si c’est un homme ou une femme qui l’a composé, sont toujours des échecs. Le public va reconnaître des éléments considérés comme féminins, comme les passages de douce mélodie, ou des éléments considérés comme masculins, comme des rythmes militaires. Mais la musique est bien plus complexe que ces catégorisations. Les bonnes compositrices, les bons compositeurs, combinent les multiples éléments à leur souhait. On pourrait même aller jusqu’à dire que la musique n’a pas de sexe, ou qu'elle transcende la binarité.
Malheureusement, hors l’écoute « à l’aveugle », le destin des compositrices a été de se retrouver victimes d’une écoute à l’affut de faiblesses, attendues, puisqu’il s’agissait de femmes. Et, ironie, certains compositeurs ont été critiqués pour leur écriture dite « féminine ». On a reproché au compositeur Charles Gounod le côté féminin de sa musique d’opéra ; et Jules Massenet, autre compositeur d’opéra célèbre, a été surnommé la fille de Charles Gounod. Autre exemple, en 1895, à la création du Prélude à l’après-midi d’un faune de Debussy, le critique du Figaro écrit : « Ma franchise m’oblige à vous avouer mes préférences pour un art plus net, plus robuste, plus mâle ».
À partir de la seconde moitié du XIXe siècle, quand les compositrices sont devenues plus visibles, des musicographes ont évoqué l’idée qu’une musique de femmes spécifique se développerait peu à peu. Là aussi, ils et elles se sont heurté.es à la complexité du langage musical. Je vous cite les conclusions surréalistes de Paula Barillon-Bauché, en 1911, quand elle imagine l’avenir pour ce qu’on appelait à l’époque la « femme compositeur » :
« J’imagine qu’une école féministe pourrait éclore ; je l’imagine d’un genre particulier par la délicatesse, le charme, l’imprévu ; un peu capricieuse mais très captivante et poétique, de style spirituel et pur avec d’infinis raffinements de forme, ou, au contraire, de forme purement simple, pour des inspirations mélodiques un peu abstraites. Un peu Mozart, un peu Chopin, un peu Debussy, comme esprit, âme et corps, le tout absolument original, sincère et sincèrement attachant ».
Nous apprenons donc, grâce à Paula Barillon-Bauché, que Mozart, Chopin et Debussy étaient des femmes dont les autres femmes devraient s’inspirer.
Mais revenons pour terminer aux remarques de la compositrice Sally Beamish que j’ai citée tout à l’heure dans une interview de 2023 :
« Beaucoup plus d’œuvres de compositrices sont jouées et reconnues maintenant. C’est une bonne époque pour être compositrice. Il y a beaucoup d’opportunités et il n’y a plus la même méfiance envers les compositrices ».
Cette situation est l’heureuse issue d’un travail mené depuis les années 1970 pour élargir le champ historique, dans tous les domaines. La musicologie, spécifiquement, a commencé à sortir d’une histoire de la musique essentiellement dominée par les grands compositeurs. Comme une nouvelle vague de féminisme était alors active, cela a résulté dans de plus en plus de travaux consacrés à des musiciennes, et les compositrices du passé et les compositrices vivantes ont bénéficié de ce mouvement, avec notamment des éditions ou des rééditions d’œuvres, qui ont pu graduellement apparaître dans les concerts et être enregistrées. Le mouvement s’est nettement accéléré depuis une dizaine d’années. On entend par exemple beaucoup plus d’œuvres de compositrices dans des lieux comme la Philharmonie de Paris.
Je terminerai par une notre personnelle. Au début des années 2000, alors que je terminais ma thèse sur les compositrices françaises du XIXe siècle, je rencontrais fréquemment des regards apitoyés lorsque je mentionnais mon sujet de recherches. Et ce type de remarques : « Ah bon, il y en a ? », ou « Ce sera une mince thèse ». Ce n’est plus le cas depuis plusieurs années. Les recherches foisonnent, et le signe peut-être le plus évident d’un changement des mentalités, en France en tout cas, est que l’histoire des musiciennes est actuellement au programme du concours de l’agrégation de musique.